Depuis février que nous sommes ici, nous avons déjà partagé sur ce blog quelques-unes de nos confrontations au système de santé Malgache. Cela fait maintenant plus de 6 mois que nous sommes à Fianarantsoa et nous allons essayer de faire une petite synthèse de notre vision sur la santé à Madagascar, ou du moins à Fianarantsoa, car les problématiques ne sont probablement pas exactement les mêmes partout.
D'abord petite présentation des structures de soins à Fianarantsoa :
- L’hôpital universitaire de Tambohobe. De notre perception c'est un mouroir avec une qualité de soin déplorable. Les bâtiments sont dans un état catastrophique, sauf extérieurement car un coup de peinture a été donné à l'extérieur .... De plus une bonne partie des soignants y "rackette" les patients (soins infirmiers et chirurgie payés de la main à la main en plus des tarifs officiels, revente de médicaments d'origine suspecte ....). De plus en plus de patients refusent d'y aller ...
- Le "nouvel hôpital de Manarapinetra" inauguré en 2013 en périphérie de la ville avec une très mauvaise route d'accès si bien que les soignants et les patients rechignent à s'y rendre ! Il est beau, grand et vide ! Vidé y compris d'une partie des équipements présents lors de l'inauguration, ces équipements ayant été déplacés dans d'autres hôpitaux pour leurs inaugurations ....
- Le Centre de soin Diocésain de Santé (CDS), genre de clinique, géré par le diocèse, destiné notamment au personnel diocésain (religieux et nombreux employés des "émanations" du diocèse) mais il accueille également tout autre patient. Il est en état très correct avec des soignants bienveillants et compétents dans l'ensemble. Son bloc chirurgical (bien équipé) était fermé jusqu'à il y a quelques semaines. Il fonctionne à nouveau pour un petit nombre d'interventions pour l'instant, suite au changement de direction de ce début d'année.
- De multiples petits dispensaire publiques, catholiques, protestants ... souvent avec des équipements rudimentaires et avec souvent un ou une infirmière ou sage-femme faisant office de médecin. Le dispensaire Padre Pio pour lequel nous travaillons est l'un d'entre eux. Chacun fait ce qu'il peut avec ses moyens ... souvent limités.
- Quelques rares médecins consultent en privé, généralement c'est une activité en plus de leur travail dans le public.
- Des cliniques privées plus ou moins grosses. Nous en connaissons notamment une, toute petite mais avec un équipement très correct, du personnel compétent et une bonne gestion. Tout cela permettant globalement une bonne qualité de soin pour les patients. Du coup nous collaborons avec elle pour des parrainages chirurgicaux et parfois pour des césariennes en urgence.
Le niveau d'équipement de toutes ces différentes structures est sans commune mesure avec notre référentiel occidental. Petit exemple : un seul scanner (généralement en panne) et pas d'IRM à Fianarantsoa (ville de plus de 200 000 habitants) il faut aller à la capitale à 8 à 10 h de mauvaise route !
Autre élément important : sauf exception, tous les frais sont à la charge du patient (pas de sécurité sociale et les mutuelles sont exceptionnelles). Les coûts sont très faibles dans notre référentiel occidental, mais énormes rapportés aux revenus très faibles de la grande majorité de la population. Pour exemple :
- une consultation médicale coûte entre 5 000 Ar (1€25) (dans un dispensaire comme le notre) à 30 000 Ar (7€40) (pour un spécialiste à l'hôpital),
- un accouchement au dispensaire hospitalisation de 3 jours incluse (mais consommables exclus) coûte 20 000 Ar (5€)
- une échographie gynécologique dans un cabinet privé coûte 16 000 Ar (4€)
Mais le salaire minium pour 40 h par semaine est de 200 000 Ar (50€) et beaucoup de familles, notamment en brousse, ne gagnent pas 20 000 Ar (5€) par mois !
D'autre part, pour chaque cas, y compris en urgence, c'est un va-et-vient entre le soignant, la caisse et la pharmacie : le patient paye d'avance la consultation, puis il voit le soignant qui fait une prescription (y compris pour le cathéter, l'alcool pour désinfecter ou la compresse ...), le patient va chercher et payer cela à la pharmacie puis retourne voir le soignant qui fait le soin et ainsi de suite pour chaque analyse, ou chaque pansement chaque jour ...
Cette présentation étant faite nous pouvons aborder la façon dont nous percevons la relation des malagaches à la santé.
Au premier abord nous avons été assez surpris de trouver qu'ils étaient plutôt "consommateurs de santé". En effet nous avons vu beaucoup de patients venant consulter pour "pas grand chose" apparemment ; au moins pour certains et notamment pour les enfants, le moindre rhume, la moindre gastro-entérite ... motive une consultation. Et la "qualité" d'une consultation est jugée à la prescription ; amoxicilline et polyvitamine étant quasi incontournables ...
Mais parfois c'est au contraire au dernier moment, après avoir consulté plusieurs fois le tradipraticien, que le patient se tourne vers la médecine "moderne", de même la majorité des accouchements sont encore réalisés au domicile par des "matrones". D’ailleurs les statistiques nationales révèlent une baisse des consultations (taux de consultations médicales externes de 38% en 2008 contre 33% en 2015)
En cas de maladie les malagaches sont très vite confrontés aux limites de leurs ressources d'abord et ensuite à l'impossibilité d'accéder aux soins adéquats. Cela conduit à une très grande "précarité" de la santé assez révoltante pour nos yeux habitués au système de santé occidental.
Cette précarité de la santé s'ajoute à la précarité du quotidien (taux de chômage important, fragilité vis à vis du climat pour les récoltes ...) et "explique" sûrement en partie l'encrage dans le présent et l'absence d'anticipation. A quoi bon anticiper, prévoir, penser à demain, quand le moindre aléa de santé ou autre peut tout arrêter !
Quelques illustrations :
- une jeune femme accouche de son premier enfant : découverte à la naissance (faute de suivi échographique pré-natal) d'un bébé trisomique avec un bec de lièvre
- une absence de dilatation du col chez une jeune femme de 17 ans pour son premier enfant ; pas d'argent pour payer une césarienne. Sans AMM, l'enfant, et peut-être la mère, seraient décédés
- femme de 55 ans avec un cancer du col de l'utérus. Diagnostiqué trop tard, déjà en présence de métastases abdominales, pronostic très réservé, et de toute façon pas de radiothérapie disponible ici
- une mère doit s'endetter pour payer les soins pour l'otite de son enfant